Introduction
L’essor du commerce international a conduit les États à adopter des dispositifs de régulation visant à encadrer les flux de marchandises tout en garantissant une concurrence loyale. Parmi ces mécanismes, les droits à effet équivalent occupent une place centrale en tant qu’outils de contrôle des échanges économiques. Inspirée du droit international et plus particulièrement du droit communautaire européen, cette notion désigne toute mesure fiscale ou tarifaire qui, sans être un droit de douane stricto sensu, exerce un impact similaire sur les importations et exportations, en restreignant leur libre circulation.
En République Démocratique du Congo, l’adoption de la Loi de Finances n°24/011 du 20 décembre 2024 marque une avancée importante dans l’intégration de cette notion dans l’arsenal juridique douanier. Cette réforme vise à combler les failles permettant l’évasion des contributions douanières et à renforcer la lutte contre la fraude commerciale. Désormais, la sanction des infractions douanières ne se limite plus aux seuls droits et taxes classiques, mais englobe également les prélèvements ayant un effet équivalent, élargissant ainsi le champ de la répression des irrégularités déclaratives.
Cependant, l’absence d’une définition claire et opérationnelle des droits à effet équivalent dans le droit congolais soulève des défis majeurs en termes de sécurité juridique et d’application. Ce flou juridique pourrait entraîner des interprétations divergentes de la part de l’administration douanière et des opérateurs économiques, augmentant ainsi le risque de contentieux et d’instabilité réglementaire.
Cet article propose d’analyser la portée de cette réforme, ses implications sur le commerce extérieur et les défis liés à sa mise en œuvre, tout en mettant en évidence la nécessité d’un cadre normatif précis pour assurer une application efficace et équitable des droits à effet équivalent en droit congolais.
- Notion de droits et taxes à l’importation et à l’exportation
Les droits et taxes à l’importation et à l’exportation sont définis comme des droits de douane et tous autres droits, taxes ou impositions diverses qui sont perçus à l’exportation ou à l’occasion de l’exportation des marchandises, à l’exception des impositions dont le montant est limité au coût approximatif des services rendus ou qui sont perçues par la douane pour le compte d’un autre organisme[1].
Les droits et taxes à l’importation et à l’exportation englobent principalement les droits de douane, qui sont des frais imposés par un État sur les marchandises entrant ou sortant de son territoire. Ces prélèvements incluent également d’autres taxes et impositions appliquées lors du passage des biens à la frontière, que ce soit à l’importation ou à l’exportation. Leur objectif peut être fiscal, pour générer des revenus pour l’État, ou économique, afin de protéger les industries locales contre la concurrence étrangère.
Cependant, certaines taxes échappent à cette définition stricte. Il s’agit notamment des impositions dont le montant est limité au coût approximatif des services fournis, comme les frais de contrôle sanitaire ou de certification. De plus, certaines taxes perçues par la douane ne lui reviennent pas directement, mais sont collectées pour le compte d’autres organismes publics. Ainsi, ces prélèvements ne sont pas considérés comme des droits de douane au sens strict, car ils ne visent pas directement à réguler le commerce extérieur ou à générer des revenus douaniers.
- Notion des droits à effet équivalent en droit international
Le droit à effet équivalent en douane est un principe du droit douanier qui vise à éviter que des taxes, redevances ou autres mesures aient un effet restrictif similaire à des droits de douane, en violation des principes de libre circulation des marchandises. Ce concept est particulièrement pertinent dans les régimes commerciaux régionaux et internationaux où les États cherchent à éliminer les entraves tarifaires et non tarifaires au commerce.
- Origine
La notion de droits ou mesures à effet équivalent trouve son origine dans la Directive 70/50/CEE de la Commission, adoptée le 22 décembre 1969 par la Communauté Économique Européenne (CEE), aujourd’hui Union Européenne (UE). Cette directive repose sur les dispositions relatives à la suppression des mesures ayant un effet équivalent à des restrictions quantitatives à l’importation, lorsqu’elles ne sont pas expressément couvertes par d’autres dispositions du traité CEE[2].
Aujourd’hui, ces mesures sont intégrées au Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), dans la section relative à l’interdiction des restrictions quantitatives entre les États membres. Ce traité établit clairement que les restrictions quantitatives à l’importation ainsi que toutes mesures d’effet équivalent sont interdites au sein du marché intérieur européen[3].
- Définition et qualification judiciaire
- Définition
Partant de son origine, les droits à effet équivalent en douane désignent toute mesure fiscale qui, bien que ne prenant pas la forme d’un droit de douane classique, exerce une charge financière sur les importations ou exportations et a des effets similaires à une taxe à l’entrée ou à la sortie d’un territoire.
- Arrêt Dassonville
En effet, l’arrêt Dassonville (Affaire 8/74), rendu par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) le 11 juillet 1974, est l’un des arrêts fondamentaux en droit de l’Union européenne en matière de libre circulation des marchandises. Il a posé une définition clé des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives (MEERQ), qui sont interdites par l’article 34 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) (ancien article 30 du Traité de Rome) [4].
- Faits de l’affaire
Les requérants, Dassonville et un autre commerçant, importaient en Belgique du whisky écossais en provenance de France. Pour commercialiser ce whisky en Belgique, la législation belge exigeait un certificat d’origine délivré par les autorités du pays d’exportation (en l’occurrence, le Royaume-Uni). Or, n’ayant pas ce certificat (puisqu’ils avaient importé le whisky depuis la France), ils furent poursuivis en Belgique pour infraction à cette réglementation.
- Question posée à la Cour
La Cour devait déterminer si l’obligation imposée par la législation belge d’un certificat d’origine pouvait constituer une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative et donc être interdite par l’article 34 TFUE.
- Décision de la CJCE
La Cour a posé le fameux principe Dassonville :
« Toute réglementation commerciale des États membres susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire est à considérer comme une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative au sens de l’article [34 TFUE]. »
- Portée de l’arrêt
Il ressort de l’Arret Dassonville ce qui suit :
- Interdiction large des restrictions aux importations : Cet arrêt établit une définition très large des mesures d’effet équivalent, incluant non seulement les restrictions directes mais aussi les obstacles indirects ou potentiels au commerce.
- Principe d’effet potentiel : Une mesure nationale n’a pas besoin d’avoir déjà un effet restrictif pour être interdite ; il suffit qu’elle puisse potentiellement entraver le commerce intracommunautaire.
- Absence de justification économique : La Cour ne reconnaît pas d’exception fondée sur des motifs économiques ou administratifs, sauf si des raisons impérieuses d’intérêt général le justifient (ce qui sera clarifié dans l’arrêt Keck en 1993).
- Base pour des arrêts futurs : L’arrêt Dassonville est un jalon fondamental du droit de l’UE sur la libre circulation des marchandises et a inspiré de nombreux arrêts ultérieurs, notamment Cassis de Dijon (1979) et Keck et Mithouard (1993).
- La notion des droits à effet équivalent en droit congolais
- Fondement légal
En effet, l’Article 19 de la Loi de Finances n°24/011 du 20 décembre 2024 pour l’exercice 2026 modifiant et complétant l’article 386 de l’Ordonnance-loi n°10/002 du 20 août 2010 portant code des douanes dispose ce qui suit :
« 1.Est passible d’une amende dont la hauteur est comprise entre une et cinq fois le droits et taxes conformément aux tarifs des droits et taxes à l’importation et à l’exportation après déduction des montants payés, toute fausse déclaration dans l’espèce, la valeur ou l’origine des marchandises importées ou placées sous un régime suspensif lorsque les droits et taxes à l’importation, à l’exportation ou droits à effet équivalent se trouvent éludés ou compromis par cette fausse déclaration. ».
La notion de droits à effet équivalent en droit congolais découle des mécanismes de taxation appliqués aux échanges commerciaux, en particulier dans le cadre des régimes d’importation et d’exportation. Le Code des Douanes, tel que reformé par la Loi de finances n°24/011 du 20 décembre 2024 pour l’exercice 2025[5], met en exergue cette notion en sanctionnant toute fausse déclaration pouvant compromettre ou éluder le paiement des droits et taxes applicables aux marchandises, y compris ceux qui présentent un effet équivalent aux droits de douane classiques[6].
Désormais, le Code des Douanes ne se limite plus aux seuls droits de douane et taxes classiques mais intègre également les droits à effet équivalent, ce qui traduit une prise en compte plus large des dispositifs fiscaux pouvant influencer les flux commerciaux.
- Prélèvements cibles et impact
- Prélèvements cibles
En droit congolais, les prélèvements les plus susceptibles d’être qualifiés de droits à effet équivalent aux droits de douane sont :
- Les droits d’accises appliqués aux importations ;
- La TVA à l’importation, si elle est plus lourde que celle sur les produits locaux ;
- Les frais administratifs spécifiques aux importations (scanning, contrôle, redevances douanières) ;
- Les taxes parafiscales appliquées uniquement aux importations (redevance OCC, inspection DGDA) ;
- Les frais liés au passage en douane et au stockage imposé.
- La TVA à l’importation, si elle est plus lourde que celle sur les produits locaux ;
En droit commercial international, notamment sous l’OMC et dans l’intégration régionale, ces types de prélèvements peuvent être contestés comme barrières non tarifaires affectant la libre circulation des marchandises.
- Impact de la reforme
En effet, la sanction prévue en cas de fausse déclaration vise explicitement « les droits et taxes à l’importation, à l’exportation ou droits à effet équivalent », reconnaissant ainsi que certaines charges, bien que distinctes des droits de douane au sens strict, peuvent être contournées par des manœuvres frauduleuses. L’inclusion des droits à effet équivalent dans les sanctions relatives aux fraudes douanières a plusieurs implications :
- Élargissement du champ de la répression : Toute tentative d’éluder des contributions financières ayant un effet similaire à un droit de douane est sanctionnée au même titre que la fraude douanière classique.
- Renforcement du contrôle des marchandises : Les autorités douanières disposent d’un cadre juridique leur permettant de lutter contre des stratégies d’évasion fiscale plus sophistiquées.
- Sécurisation des recettes de l’État : En intégrant cette notion, le législateur garantit une meilleure collecte des ressources publiques issues du commerce extérieur.
- Faiblesses de la reforme
L’introduction de la notion des droits à effet équivalent en droit congolais par cette disposition présente plusieurs faiblesses, notamment :
- Manque de définition précise dans l’arsenal juridique congolais : Le Code des douanes ne définit pas ce que recouvre exactement la notion de droits à effet équivalent. En l’absence d’une définition légale claire, cela laisse place à des interprétations diverses et peut engendrer une insécurité juridique tant pour l’administration que pour les opérateurs économiques.
Exemple : Un importateur de véhicules introduit une déclaration en douane avec des droits et taxes classiques (droits de douane, TVA, etc.). Lors d’un contrôle, l’administration invoque un droit à effet équivalent applicable aux véhicules polluants et inflige une amende. Or, ce droit n’est mentionné nulle part dans les textes de loi existants.
Conséquence : L’opérateur se retrouve sanctionné pour une obligation non définie, ce qui rend toute contestation difficile.
- Risque d’interprétation étendue et arbitraire par l’administration douanière : L’ajout des droits à effet équivalent dans le champ des sanctions élargit potentiellement la portée de la pénalité, permettant à l’administration douanière d’interpréter librement ce qui constitue un droit à effet équivalent. Cela pourrait conduire à une discrétion excessive dans l’application des sanctions, créant un risque d’abus de pouvoir et de traitement inéquitable.
Exemple : Un commerçant importe des vêtements en coton du Pakistan et applique un taux de douane normal. Lors d’un contrôle, l’administration invoque un droit à effet équivalent pour protection de l’industrie locale du textile et lui impose une taxe additionnelle, non prévue explicitement dans les textes.
Conséquence : L’opérateur subit une taxation imprévue et risque une amende disproportionnée sur la base d’une interprétation floue du concept de droit à effet équivalent.
- Potentiel impact négatif sur les opérateurs économiques : L’introduction de cette notion dans le dispositif répressif peut accroître l’incertitude juridique pour les importateurs et exportateurs. En raison du manque de clarté sur la définition et l’application des droits à effet équivalent, les entreprises risquent d’être sanctionnées de manière disproportionnée, ce qui pourrait décourager les investissements et compliquer les opérations de commerce international.
Exemple : Une société étrangère souhaite investir dans la transformation du cacao en RDC. Après une première importation de machines, elle est surprise par un droit à effet équivalent appliqué de manière rétroactive.
Conséquence: Cette imprévisibilité décourage les investisseurs étrangers, qui considèrent le climat des affaires instable et risqué.
- Proposition d’amélioration
Il sied de clarifier la notion de « droits à effet équivalent » par un renvoi à une réglementation spécifique. En effet, la réforme introduit la notion de droits à effet équivalent sans en fournir une définition précise, ce qui soulève un problème de sécurité juridique. En l’absence d’un cadre normatif clair, les opérateurs économiques et l’administration fiscale risquent d’adopter des interprétations divergentes, entraînant des conflits et une insécurité fiscale.
Il est donc impératif d’encadrer cette notion par voie réglementaire afin d’assurer une définition rigoureuse et uniforme. Une telle démarche garantirait une meilleure lisibilité du texte et une application cohérente des règles. En matière fiscale et douanière, toute imposition doit être claire et prévisible afin d’éviter des contestations devant les juridictions compétentes. Un encadrement réglementaire offrirait également la flexibilité nécessaire pour adapter la définition aux évolutions des pratiques commerciales et fiscales.
À défaut de clarté, l’administration douanière pourrait rencontrer des difficultés dans la répression des infractions. En effet, en matière fiscale, le principe in dubio pro fiscum s’applique : en cas de doute sur l’interprétation d’une norme fiscale, l’avantage revient à l’assujetti. Cette incertitude juridique risquerait ainsi de limiter l’efficacité des contrôles et des sanctions.
Conclusion
L’introduction de la notion des droits à effet équivalent en droit congolais par la Loi de Finances n°24/011 du 20 décembre 2024 pour l’exercice 2025 marque une évolution significative du cadre juridique douanier en République Démocratique du Congo. Cette réforme vise à combler les failles permettant l’évasion fiscale et la fraude commerciale, en intégrant dans le champ des sanctions les prélèvements qui, bien que distincts des droits de douane classiques, exercent un effet similaire sur les flux commerciaux.
Toutefois, son application suscite des interrogations majeures quant à la sécurité juridique des opérateurs économiques. L’absence d’une définition précise des droits à effet équivalent et le risque d’interprétation arbitraire par l’administration douanière constituent des défis à relever pour éviter toute insécurité fiscale et favoriser un climat des affaires stable.
Dès lors, il est impératif que cette réforme soit accompagnée d’une clarification normative rigoureuse, soit par voie réglementaire, soit par des directives administratives précises, afin de garantir une mise en œuvre équitable et cohérente. Une telle approche permettra d’assurer un équilibre entre les objectifs de contrôle douanier, la protection des intérêts économiques de l’État et la nécessité d’une prévisibilité pour les acteurs du commerce international.
Katuala TSHIBANGU
Auteur et Chercheur en Droit
[1] Article 5 point 16 du Code des Douanes
[2] Article 33 alinéa 7 du Traité de la Communauté Economique Européenne
[3] Articles 33 et 34 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne
[4] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=celex%3A61974CJ0008&utm_source=chatgpt.com
[5] Article 19 de Loi de finances n°24/011 du 20 décembre 2024 pour l’exercice 2025
[6] Article 386 du Code des Douanes